Relation de cause à effet, pas toujours évident!
Nous avons régulièrement des questions sur notre blogue et de la part de patients qui ont eu différentes sortes de traitement dentaires et orthodontiques et qui attribuent les effets néfastes qu’ils ont observés dans leur dentition, occlusion, visage, profil, etc., directement à ces traitements. Ils en arrivent à cette conclusion pour la simple raison que les changements sont apparus pendant ou après le traitement et ils y attribuent inévitablement une relation de “cause à effet” avec l’orthodontie. Mais qu’en est-il vraiment?
Ainsi, plusieurs se demandent si leur traitement d’orthodontie a pu :
- faire :
- dévier leur menton,
- vieillir rapidement et exagérément leur visage,
- apparaître des rides, cernes sous les yeux,
- faire s’affaisser leur visage, joues, pommettes,
- rendre :
- leur lèvres plus fines, pulpeuses, proéminentes, courtes, longues,
- les pommettes ou joues plus (ou moins) saillantes,
- leur visage asymétrique,
- le sourire trop étroit ou trop large ou asymétrique,
- leur profil plus plat ou creux,
- affecter :
- leur sens de l’odorat et du goût,
- leur langage (phonétique, élocution),
- leur vue ou ouïe,
- leur respiration,
- leur nez (plus long, plus bossu, courbe, etc.),
- causer :
- de la carie dentaire, des infections, abcès, ulcères, décoloration des dents,
- des problèmes de gencive; une perte de gencive (récession, déchaussement),
- une perte osseuse et des problèmes parodontaux,
- des problèmes aux articulations temporo-mandibulaires (ATM).
- etc.
Voici quelques commentaires et observations à ce sujet :
- Des changements néfastes sont possibles : Bien que certains changements négatifs soient possibles dans le cadre d’un traitement d’orthodontie, ils sont connus et bien documentés dans la littérature scientifique. Les effets les plus communs sont énumérés et expliqués dans la section « Effets secondaires, risques et limitations d’un traitement d’orthodontie« .
- Lèvres et tissus mous : En plus de la dentition (occlusion), les effets d’un traitement d’orthodontie sont principalement sur les tissus mous, particulièrement les lèvres qui sont affectées directement par la position des dents.
- Il est connu et documenté que le déplacement des dents antérieures peut affecter directement la position et protrusion des lèvres.
- La rétraction (recul) des dents antérieures peut, diminuer leur protrusion et faciliter leur fermeture ou rapprochement (diminuer une incompétence labiale).
- À l’opposé, incliner ou déplacer les incisives vers l’avant peut rendre les lèvres plus proéminentes, les faire paraître plus “pleines” ou débordantes et créer une incompétence labiale (absence de contact entre les lèvres au repos, difficulté à garder les lèvres ensemble sans forcer). Pour voir des exemples.
- Faire ces déplacements de dents à l’extrême, peut aussi créer trop de recul ou d’avancement des lèvres et affecter de façon néfaste un profil (créer une protrusion excessive en avançant trop les dents ou un profil trop concave en les reculant trop) mais cela ne devrait être qu’un résultat inhabituel.
- Région affectée : Les traitements d’ortho peuvent modifier la région située entre la base du nez et le dessus du menton (illustration 1) mais n’ont peu ou pas d’effet hors de ces limites (nez, yeux, joues, oreilles, cou, menton, etc.).
Cause à effet?
- Bien qu’il puisse y avoir des effets secondaires indésirables lors d’un traitement d’orthodontie, comme avec tout traitement dentaire ou médical, le reconnaître ne signifie pas que tous ces effets ou séquelles néfastes se produisant pendant un traitement d’orthodontie sont directement causés par ce traitement. Cette distinction est extrêmement importante.
- Il est aussi important de comprendre que :
- toutes les séquelles possibles peuvent apparaître et existent indépendamment de l’orthodontie,
- la plupart des gens affectés par de tels « problèmes » n’ont pas eu d’orthodontie et la plupart des gens ayant eu un traitement d’orthodontie n’ont pas ces problèmes (exemples : récession gingivale, résorption radiculaire, un profil concave, un nez long, un menton fuyant, des symptômes aux ATM, etc.).
Les fameuse dents de sagesse! 
- Un exemple de cause à effet non fondée est la conclusion que les dents de sagesse sont responsables du chevauchement dentaire antérieur parce que encombrement des dents se produit souvent lors de l’éruption des dents de sagesse. Pour en savoir plus sur ce sujet.
- Les dents de sagesse sont aussi blâmées pour tous les maux et problèmes pendant qu’elles se forment et tentent de percer (éruption). Lorsqu’on les extrait, on y attribue encore plus de problèmes, séquelles et complications dont certaines complètement farfelues. Cela va de la simple infection à l’incapacité totale en passant par les tsunamis…ou presque!
- On nous demande régulièrement si tout ce qui se produit après une extraction est normal et causé par l’extraction, tout comme pour tout ce qui arrive pendant et après l’orthodontie! Pour en savoir plus.
Précisions supplémentaires sur les points les plus souvent mentionnés comme effets « secondaires » à l’orthodontie
Profil et esthétique du visage
- Il existe toute sorte de profils et caractéristiques du visage dans la population. Un traitement d’orthodontie avec ou sans extractions ne peut être responsable de tous les changements observés au niveau du visage.
- Chez les patients en croissance, cette dernière peut être responsable de plus de changements (positifs ou négatifs) que les corrections orthodontiques comme telles. Chez les adultes où la croissance est terminée, d’autres raisons peuvent parfois expliquer les changements faciaux (exemple : perte ou gain de poids).
- Pour voir des exemples de modification de profil dans suite à un traitement d’orthodontie, voir « Extractions, profil et esthétique du visage« . Essayez de deviner quel traitement ont eu les patients (extractions ou pas)!
Le piège des photos!
- Afin de supporter leur perception, certaines personnes comparent leur résultat de traitement (profil et esthétique du visage, sourire, nez, joues, position de dents, etc.) avec diverses photos prises dans différents contextes sociaux, de façon différentes et dans des conditions variées (caméras différentes, iPhones, conditions d’éclairage, angles différents, etc.).
- La seule façon de comparer les changements ou l’apparence d’un visage (particulièrement concernant les tissus mous) ou d’une dentition (occlusion) (qu’ils soient causés par un traitement, la croissance, une chirurgie ou autre chose) est de comparer des données identiques (modèles, photos, radiographies, scans) prises dans les mêmes conditions à 2 moments différents (mois, années). Par exemple, on peut rarement tirer des conclusions valables en comparant des photos prises avec un iPhone à des distances variables, dans une pièce mal éclairée avec une position de la tête qui est différente de celle utilisée pour les photos standardisés comme nous les prenons en orthodontie (même caméra, même objectif, même flash, même distance du patient, mêmes conditions d’éclairage ambiant, etc.).
- Les changements squelettiques sont plus faciles à vérifier et documenter en comparant des radiographies céphalométriques qui peuvent être superposées. IL est ainsi possible d’identifier des changements dans la longueur et hauteur des mâchoires et autres structures faciales au millimètre près.
Articulations temporo-mandibulaires (ATM)
- Certains patients peuvent développer divers symptômes articulaires pendant l’orthodontie sans que le traitement soit en cause, ce qui est abondamment supporté par la littérature scientifique. La plupart des personnes ayant des troubles de dysfonction des articulations temporo-mandibulaires n’ont jamais eu d’orthodontie et ceci affecte entre 15 et 30 % de la population selon les études.
- ➡ Pour en savoir plus sur les articulations temporo-mandibulaires.
Chirurgie orthognathique
- Un traitement combiné d’ortho-chirurgie peut évidemment avoir un effet important sur le profil du visage, et c’est ce qui est voulu et recherché dans la plupart des cas chirurgicaux car ils visent à corriger un déséquilibre squelettique significatif entre les mâchoires.
- Selon le type de chirurgie orthognathique effectuée, des changements peuvent affecter la base du nez, les lèvres et le menton, et ce en 3 dimensions (largeur, hauteur et longueur). Les joues peuvent aussi être influencées par un élargissement important du maxillaire supérieur.
- Plus les plans de traitement sont complexes, plus ils ont la possibilité d’avoir des « complications », ce qui peut arriver en chirurgie. Les risques sont cependant minimes la plupart du temps.
- Il arrive souvent que des patients ayant une chirurgie orthognathique
- Certains sites Web récoltent les témoignages de patients ayant vécu de mauvaises expériences suite à une chirurgie orthognathique, mais même ces résultats insatisfaisants ne sont pas la norme ils sont beaucoup plus publicisés que la très grande majorité des cas qui n’ont aucune complication et c’est aussi notre expérience en plus de 30 ans de pratique.
- Les cas d’ortho-chirurgie sont complexes et leur succès dépendra, entre autre, d’un bon diagnostic et d’une bonne planification du traitement avec l’orthodontiste et le chirurgien maxillo-facial. La coopération entre les deux praticiens est essentielle.
- Plusieurs des patients qui se plaignent de ne pas avoir obtenu les résultats escomptés après une chirurgie aux mâchoires ne se sont fait expliqué exactement ce en quoi consistait la chirurgie et avaient des attentes irréalistes. Les patients doivent être bien informés avant même le début du traitement pour prendre une décision éclairée et avoir des attentes réalistes envers les résultats du traitement.
- Il existe maintenant des logiciels permettant aux praticiens de simuler et planifier leur traitements d’ortho-chirurgie et de montrer le résultat visé aux patients afin qu’il comprennent mieux leur traitement. Les « surprises » sur les résultats de traitement devraient être moins nombreuses.
- Cependant, ce ne sont pas toutes les équipes d’orthodontiste et chirurgiens qui ont la même expérience et expertise à traiter des cas complexes. Comme nous le démontre régulièrement des questions dans notre blogue, la planification et/ou l’exécution fautive d’un traitement mènera à des résultats insatisfaisants. On ne peut cependant pas généraliser en concluant que les cas d’ortho-chirurgie causent « toujours » des problèmes esthétiques, fonctionnels, etc.
- Les complications sont rares, les résultats sont excellents et les patients sont habituellement satisfaits lorsque le traitement est approprié (bon diagnostic et plan de traitement) et bien exécuté (orthodontie et chirurgie).
Extractions de dents
- Le fait d’extraire des dents dans le cadre d’un traitement d’orthodontie ne causera pas automatiquement ou nécessairement des changements qui affecteront le profil et l’esthétique du visage, que ce doit de façon positive ou négative. Il est possible de diminuer la protrusion de lèvres trop proéminentes ou avancées en utilisant l’espace crée par des extractions comme il peut être aussi possible de faire « avancer » des lèvres trop reculées en inclinant ou déplaçant les incisives vers l’avant.
- La littérature scientifique orthodontique a bien documenté le fait que les traitements avec des extractions, s’ils sont bien prodigués, n’aplaniront pas le profil, ne rétrécirons pas le sourire, ne causeront pas d’affaissement des lèvres, etc. même si l’on retrouve sur le Web des témoignages ou rapports de cas à l’effet du contraire.
- Les changements de profil pendant un traitement d’orthodontie peuvent être planifiés par l’orthodontiste dans une certaine mesure, mais sont aussi grandement affectés par la croissance, s’il en reste.
Sourire : largeur vs extractions
- Plusieurs croient qu’extraire des dents rendra le sourire plus étroit. De nombreuses études ont en fait démontré le contraire, soit que le sourire devient plus large ou sa largeur est maintenue lorsque des prémolaires sont extraites et que les dents antérieures sont reculées dans une partie plus large de l’arcade dentaire.
- ➡ Pour en savoir plus.
Croissance et développement
Il faut réaliser que, la plupart du temps, un traitement d’orthodontie se déroule pendant plusieurs années et que d’autres processus et phénomènes peuvent aussi agir sur la dentition, les mâchoires, les tissus mous et le visage pendant ce temps; croissance, vieillissement, perte ou gain de poids, etc. On ne peut donc attribuer au seul traitement d’orthodontie tous les phénomènes observés pendant ou après les corrections orthodontiques.
« Traitement inversé »
Plusieurs patients attribuant des changements néfastes et indésirables à l’orthodontie s’informent donc de la possibilité de faire un « traitement inverse » pour retrouver la condition, l’occlusion et l’esthétique qu’ils avaient avant un traitement car ils croient à tort que ce qu’ils observent et n’aiment pas est causé par un traitement fautif.
- Un traitement inversé permettrait d’après eux de « défaire » les corrections obtenues pour retourner à l’état initial. Ainsi,
- si des extractions ont été faites et des espaces fermés, ils aimeraient faire rouvrir ces espaces pour y replacer des dents prothétiques (pont dentaire, bridge, implant dentaire, prothèses, etc.);
- ils aimeraient qu’une autre chirurgie orthognathique soit faite pour déplacer les mâchoires dans le sens inverse (avancement, recul, impaction, rotation, etc.) et retrouver la position initiale et de déséquilibre qui y était associé,
- si des arcades ont été élargies, qu’elles soient rétrécies,
- si des dents ont été avancées ou reculées, qu’on leur fasse faire le mouvement inverse,
- etc.
- À moins qu’il y ait eu une erreur de diagnostic, de choix d’objectifs de traitement ou d’exécution du plan de traitement, il est rare, extrêmement rare même qu’une telle approche de « traitement inversé » soit indiquée.
- De plus, même si, théoriquement, un tel traitement était indiqué, le réaliser n’est souvent pas possible, logique ou réaliste. Par exemple,
- dans des cas d’extractions, il faudrait rouvrir les espaces fermés pendant le traitement et y remettre des dents (prothétiques).
- Dans les cas de chirurgie orthognathique ceci nécessiterait refaire des coupes chirurgicales dans l’os de la mâchoires à des endroits où il y a souvent des vis et plaques métalliques de stabilisation et des cicatrices dans les tissus. Les chirurgiens sont loin d’être enthousiastes à l’idée de réopérer dans la même région d’une mâchoire à cause de la difficulté et des risques que cela comporte.
- dans les cas de corrections majeures où des dents ont été déplacées sur de grandes distances, il est presque impossible de faire le chemin inverse (canines incluses, redressement de molaires, ouverture d’occlusion, correction de la largeur des arcades, etc.).
Déplacer des dents en orthodontie les affectent toujours à certains degrés. Cela est normal et prévisible dans une certaine mesure
(résorption radiculaire, légère récession gingivale, perte osseuse chez les patients affectés par des problèmes parodontaux, etc.). Bien que, la plupart du temps cela soit sans conséquences importantes, tenter de « refaire » un traitement d’orthodontie pour « défaire » des corrections pendant des mois, voire des années, peut taxer indûment la dentition et le parodonte et causer plus de problèmes que ce que l’on tenterait de corriger.
La locomotive de Tolstoï ou le premier signe venu…
- Dans “Guerre et Paix”, l’écrivain russe Léon Tolstoï2 utilise l’analogie de paysans qui tentent d’expliquer pourquoi une locomotive est en mouvement pour faire comprendre comment différentes personnes observant le même phénomène l’interpréteront différemment selon leurs convictions, croyances, connaissances, éducation, et autre variables individuelles, mais qui, d’après chacun, sont toutes véridiques et directement responsables du mouvement du train (le diable, les roues, la fumée et le vent), etc.
- Tout comme celui qui « s’est saisi du premier signe venu et l’a cité comme cause » pour expliquer le mouvement de la locomotive, le patient qui accuse l’orthodontie pour tous les changements observés dans son visage et sa dentition saute à une conclusion de cause à effet directe très souvent non fondée.
- La perception des gens est dictée par leurs connaissances et croyances, ce qui est compréhensible et c’est ce qui leur permet d’établir et croire à une relation de cause à effet, qu’elle soit réelle ou pas. Il est normal de vouloir trouver une explication à tout phénomène mais la formulation d’une hypothèse pour l’expliquer ne signifie aucunement qu’elle véridique, tant qu’elle n’est pas vérifiée et prouvée, comme il est démontré par la “méthode scientifique”.
“Une locomotive est en marche. On demande : pourquoi marche-t-elle? Un paysan dit : c’est le diable qui la fait avancer. Un autre dit : la locomotive marche parce que les roues tournent. Un troisième : la cause du mouvement est dans la fumée qu’emporte le vent.”
“La réponse du paysan est irréfutable: on ne pourrait la réfuter qu’en lui démontrant que le diable n’existe pas, ou qu’un autre paysan lui prouve que ce n’est pas le diable, mais un Allemand qui fait marcher la locomotive. Alors seulement la contradiction leur fera voir que tous deux ont tort. Mais celui qui dit que la cause est le mouvement des roues se réfute lui-même, car s’il s’est engagé sur le terrain de l’analyse, il doit aller toujours plus loin: il doit trouver la cause du mouvement des roues. Et jusqu’à ce qu’il arrive à la dernière cause de la marche de la locomotive, à la vapeur sous pression dans la chaudière, il n’aura pas le droit de s’arrêter dans la recherche des causes. Quant à celui qui a expliqué le mouvement de la locomotive parce que le vent emporte la fumée en arrière, voyant que les roues ne fournissent pas la cause, il s’est saisi du premier signe venu et l’a cité comme cause.”
TolstoÏ, 1865
Références :
(1) Illustration des profils adaptée et modifiée d’une illustration dans : Head proportions made simple, Ian Whillock , January 1991
(2) « Guerre et Paix II » tome 2 – Léon Tolstoï , 1865 – Collection folio classique (n° 288) , Ed. Gallimard, p. : 944
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➡ Dernière mise-à-jour : 2017-11-15 @ 07:34:17 © Jules E. Lemay, www.ortholemay.com – Tous droits réservés / All rights reserved Publié le : 2017-11-13 |